Pauvres bêtes

Ils se servent de leur bouclier d’intelligence
Ils se protègent avec des mots rares, de grand concept
Il déteste l’émotion, cette chose qu’ils ne contrôlent pas
Ils la fuient, ils aimeraient la bannir du monde
Ils nous vendent leurs neurones au kilo, leur savoir à la découpe
Ils aiment les grandes phrases, les grands hommes,
Les livres austères et difficiles, les musiques sans mélodies
Les cerveaux mécaniques, la chair froide, les rues vides et le passé
Ils ne diront jamais le frisson qui les glace le dimanche soir
Les larmes qui leur pissent des yeux, quand ils sont seuls dans leur lit
Leur cœur qui bondit de joie au son de la voix reconnu
L’angoisse de l’abîme au bruit de la faucheuse qui approche
Les pleurs honteux devant le trou rectangulaire
Pauvres bêtes
Je vous aime

Petit texte, août 2022
Keyser Söze

Mes morts

Mes morts
J’essaie de les oublier
Mais ils sont là, tout le temps
Ils ne sont pas méchants
Mais je voudrais ne plus avoir
Leur poids sur mes épaules
Ouvrir en grand ma cage thoracique
Que l’air s’engouffre, pour respirer le large
Voyager léger et porter par un souffle
Laisser le hasard m’emmener
Les oublier
Un peu
Et les serrer dans mes bras.

Petit texte février 2022
Keyzer Söze

Mon grand-père

Mon grand-père était un petit homme,
Avec une bosse dans le dos.
Il était toujours bien habillé, élégant.
Il avait une formule magique,
Des mots qui donnaient la vie.
Il nous regardait dans les yeux, puis il disait :
Vous êtes les plus beaux enfants du monde.
Alors nous, on y croyait.
On souriait.

Petit texte février 2022
Keyzer Söze

La journée est passée

Aujourd’hui est passé,
Encore un jour de moins
Encoure un jour de plus,
Un jour à se demander
Un jour à aimer
Elle rentre fatiguée
La vie, elle ne la voyait
Pas comme ça
Travailleuse
Mère
Amante
Pour tout ça
Une seule tête
Deux jambes
Une paire de fesses
Deux mains

Keyzer Söze
Petit texte Mai 2022

Pêcher

Je pêche souvent
Je pêcherai au paradis
Je pêchai seul dans mon lit
Je pêchais la nuit
J’aurai pêché par peur
J’ai pêché par fierté
J’avais pêché des monstres
J’eus pêché un dragon
Que je pêche encore
Que j’aie pêché seul
Que je pêchasse accompagné
Que j’eusse pêché ou pas
Je pêcherais tout le temps
J’aurais pêché même si
Je pêchai des petits poissons
Pêche tant que tu peux
Aie pêché dans ta vie

Petit texte février 2022
Keyzer Söze

Alphabet personnel

Ami, toujours trop ou pas assez.
Bébé, fragile laideur.
Cri, douleur d’enfance.
Doute, ressemble à de l’intelligence.
Enfant, miroir mélangé.
Femme, étrangère désirée.
Gifle, stop !
Hache, outil idéal pour arrêter la pensée.
Jupe, maline, elle laisse voir le plus joli.
Kilt, malin, il montre le plus laid.
Lettre, à ne pas ouvrir.
Mère, mon étoile noire.
Nez, idéal pour occuper les doigts.
Orang-outan, mon frère.
Père, héros personnel.
Question ? Tu connais la réponse, tu veux juste l’entendre.
Râle, fin de course.
Sexe, toujours trop court.
Tombe, la place est occupée.
Utérus, arrêtez, on est assez nombreux.
Voiture, machine à aspirer le cerveau.
Week-end, deux jours pour en oublier cinq.
X, filme la mécanique des corps sans cœur.
Yoyo, vous n’avez pas autre chose à faire.
Zèbre, beau métissage.

Petit texte, janvier 2022
Keyser Söze

Ces deux mots

Enfant brûlé par un corps pyromane.
Il souffre à chaque mot, à chaque flamme.
Sa peau rougit, sa voix tremble.
Il grandit pour trouver un peu de lumière.
Ballotté dans le courant de la rivière.
Il attend ces deux mots.

Homme créé pour avoir.
Il ne se dévoile pas, prêt à blesser.
Usant son corps machine.
Il est en sel et se croit en acier.
Seul dans un monde surpeuplé.
Ces deux mots, il ne sait pas les dire.

Vieillard au temps compté.
Il parle plus souvent aux fantômes qu’aux vivants.
Trahi par un corps fatigué.
Il oublie les années.
Trop de temps à perdre.
Ces deux mots, plus personne pour les entendre.