Le feu brûle en toi

Le feu brûle en toi
La neige touche ton cœur
Roule sur les boulevards
Allume une cigarette
Lance un vieux Chuck Berry
Les pupilles dilatées
Le sang qui vibre
Un cœur qui court
Le vent refroidit ta peau
Le présent seulement
Le temps d’un éclair
Tu les vois, tu les laisses
Ils sont loin, perdus
Oublie les fantômes
La vie est sur les trottoirs
Les lumières des appartements
Roule, roule toujours
Le feu brûle en toi

Extrait du recueil : Empty Head
Décembre 2022
Mia Wallace

Arrive le temps du blues

Je repense aux amis que j’ai trahis
Aux enfants que j’ai trahis
Je ne peux plus rien faire
Le temps a tout gravé dans le marbre
Il faudrait que je revienne en arrière
Que je répare, que je m’excuse
Les regrets sont vivants
Je les sens, ils sont en moi
Je peux toujours me rappeler
Les belles choses, les bons gestes
Les silences courageux,
Mais là aussi, les regrets sont cachés
Je ne voulais pas être un ange,
Je ne voulais pas être le diable
Je ne pouvais être que moi
J’ai toujours cru que je pouvais être plus
Le beau mensonge
Je ne suis
Qu’une planche fendue
Qui vibre au gré du hasard

Novembre 2022
Keizer Söze

Les objets en ombre

La chaussure : petit animal en cuir, avec des crevasses sans fin, traces de l’homme lourd, café chaud pesant du matin.

La pipe : génératrice de mystère. L’air existe, absence ou présence, volutes invisibles, noires, noires et grises, ombre du culot, costume avec gilet pour rituels.

Le crayon à papier : droite sur espace, générateur de courbe et mangeur de temps. Brin d’herbe sur table basse, main ridée, mots fléchés, café, robe en tissu épais, lunettes dorées, temps oublié.

La guitare acoustique : parallèles infinies, vide en boîte sans date de péremption, présence des silences.

Le carnet : garde brouillon, rectangle de couleur, boîte à noir et blanc, légèreté des mots.

Le blue-jean : promesse de mouvement à marche forcée, cailloux et petits papiers en route, jeunesse mangeuse de vie, force démultipliée dans un monde trop petit.

La guitare électrique : planche attendant la vague avec son cordon cherchant la vie, objet sans paroles, envahissement du monde, totem.

La basket : taches blanches sur asphalte, elles disparaissent avec politesse, s’excusant à tour de rôle, léger fantôme ailé.

Le sweat noir à capuche, jean noir : traits noirs verticaux, noir d’encre de Chine, noir sur noir, contraste obscur, cache pâle.

L’écharpe verte en laine : bouclier de jeune déesse, douceur à parfum et philtre d’amour

Tout ce qu’on perd

J’ai perdu plus qu’un ami
J’ai perdu ses rires
J’ai perdu nos espoirs
Les rêves partagés

J’ai perdu un après
Plus de suite
Le film est fini
La rue est vide

La mort prend tout
Je refuse
Je m’envole
Je pars avec le coupé 504

Tu parles des filles
Des balades en canoë
Je relance le passé
Les samedis soir désespérés
La mort n’était qu’un jeu
Ou le premier qui crevait
Attendait l’autre

Tu attends depuis longtemps
Désolé, je prends mon temps
J’ai une vie à vivre
Tu comprends

La mort
Je lui crache au visage
Elle ne me laissera pas seul
J’ai croisé top tôt sa sale gueule
Sa leçon elle me l’a donné, mais
Je suis un mauvais élève, madame,
Désolé, je vais retrouver le temps volé

Je te vois père grisonnant
Tu es heureux, j’accélère
Au bout de la route, tu attends
Ta femme est belle
Tes enfants rient

La mort peut revoir sa mauvaise copie
Je ne veux pas de sa version de l’histoire
J’écris la mienne

L’absence

Ferme tes yeux
Regarde les angles
La lumière
Le vide blanc
Tu peux partir
Le voyage commence
Le souffle des souvenirs
Sur ta peau
Respire lentement
Les absents sont là
Laisse-les entrer
Tu entends ces voix
C’est lui, c’est elle
Flotte, relâche
Fais ton appel
La vie, c’est après
Ouvre la cage
Maintenant, ici
Le temps est venu
Le vide a disparu
Tu souris

Petit texte, octobre 2022
Keyser Söze

Le cinéma noir

J’aime aller au cinéma noir
La salle est bien cachée, quelquefois le soir
Je la trouve, j’achète un ticket et je me glisse à ma place
Je m’assois dans un grand fauteuil rouge
Ce soir il projette : l’histoire des vies volées
Le projecteur s’allume, le film commence
L’ami mort trop tôt joue avec ses enfants
La jeune fille dévorée par le crabe est devenue une grand-mère
Le petit garçon fauché par le camion, danse pour ses vingt ans
Je ris, j’y crois, ici, la vie a continué
Ici, le monde est réparé
La séance est finie
Le cinéma a disparu
Il n’y a que la nuit
J’allume ma lampe de chevet
Je suis assis dans mon lit,
un ticket dans la main.

Petit texte, octobre 2022
Keyser Söze

Le présent du personnel

Le toucher de ta main sur la mienne
Le sang qui bat dans mes veines
L’aboiement du chien
L’envie, la faim du matin
La porte qui claque au vent
Le refrain que j’entends
Le frisson sur mes bras
Le bruit de ses pas
Le rayon de soleil qui m’éblouit
La poussière qui danse
L’harmonie du silence
Le temps ravi de l’ennui
Je vis

Petit texte, Septembre 2022
Keyser Söze

Moi

Moi je sais

Moi je décide

Mais qu’est-ce qui est plus important que Moi ?

Ecoute-Moi

Moi, ma vie, mes envies, mes projets, mes idées

Moi

Si je le pouvais, on verrait ma tête sur tous les écrans H24, on entendrait ma voix sur toutes les radios, on éditerait uniquement mes textes, ou mes commentaires sur les textes des autres, les Morts

Imagine les rues avec ma tête à Moi, partout

Toi, toi ce n’est pas intéressant ce que tu dis, toi je t’utilise, tu peux être le sujet de ma conversation,

Toi, tu es le public

Tu peux être une respiration, un entracte, une diversion, mais tu en es conscient, le plus important, c’est Moi.

Moi t’as posé une question, mais ta réponse n’a aucun intérêt, Moi ne l’écoute même pas, le commentaire de Moi est intéressant, écoute-le

Celui qui compte c’est Moi, le Sujet, c’est Moi.

Il ne peut y avoir deux Moi, il y a un seul Moi et c’est Moi

Tais-toi et écoute-Moi

Moi, Moi, Moi, Moi, Moi, Moi, il est beau cet air-là.

Chante avec Moi :

Moi, Moi, Moiiiiiii

N’oublie pas, le Moi de ta chanson c’est Moi

Petit texte octobre 2022

Keizer Söze

Raconte-moi une histoire

Raconte-moi le matin du printemps
Montre-moi le vieil homme apaisé
Le couple qui s’aime
La mère qui rit avec son enfant
Le père qui fait répéter les leçons
L’amour naissant entre ces deux êtres.

Raconte-moi le grand soleil d’été
Montrez-moi l’homme grand
Le héros, des jours ordinaires
La mère qui donne la vie
La sœur qui travaille pour nourrir la famille
Le père qui se lève tous les matins

Raconte-moi la pluie d’automne
L’ennui qui nous envahit
La vieille dame qui a peur du vide
L’adolescente inquiète de son avenir
Le travailleur qui compte les jours
Le malade qui n’y croit plus

Raconte-moi les abîmes d’hiver
Montre-moi la bête, qui nous ressemble
Le Monstre qui brûle les pays entiers
Le médiocre et ses mots sales
La folle qui mange ses enfants
Lui, qui viole dans la nuit
L’enfant battu encore et encore.

Oui, raconte-moi une histoire
Je m’installe dans un doux fauteuil
Toi l’auteur, sers-moi
Une boisson chaude et douce
Et si par hasard je suis gêné
Je n’ai pas à m’inquiéter
Tu as passé un pacte avec moi :
Ceci n’est qu’une histoire.

Petit texte avril 2022
Keyzer Söze

L’artiste

L’oisillon est tombé du nid
Il a son mal à vivre accroché aux tripes
Il a son malheur et
Il n’y a pas de petits malheurs 

Ton père t’a battu
Tu es assis à ta table, une bouteille devant toi, tu as peur d’être comme lui
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Ta mère ne t’a jamais aimée
Tu es dans le bus, la tête contre la vitre, elle te blesse encore, même morte
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as perdu ton père
Tu es assis dans ta voiture, tu pleures, ça fait mal ce vide à l’intérieur
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu te trouves trop laide
Tu es allongée sur ton lit, tu ne bouges plus, tu as honte de toi
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as vu ces gens mourir
Tu les vois dans le noir de ta chambre, tu n’arrives pas oublier
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as été violée
Tu sens son odeur, ses mains, tu voudrais qu’on te lave la tête
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as honte d’être ce que tu es
Tu n’arrêtes pas de te cacher, tu joues un rôle, tu voudrais juste être toi
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu ne connais pas ton père
Tu voudrais respirer, mais il est là en toi, la moitié de ton code
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu voudrais, mais tu n’arrives pas à aimer
Tu te vois seul dans le miroir, tu es cassé
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as deux familles, tes parents ont divorcé
Tu n’as plus d’équilibre dans ce monde
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Tu as perdu ta sœur
Tu as un membre fantôme, tu la cherches avec tes mains
Ça fait du bien de le dire, tu sais
Ou pleure un bon coup

Personne ne réparera cela, tu devras vivre avec
Alors, écris, dessine, danse, joue, compose, chante, photographie, hurle
Ou pleure un bon coup, encore et encore

Et toi
Moi ma
Alors pleure un bon coup
Tu pisseras moins au lit

Petit texte, septembre 2022
Keyser Söze