Le voleur de temps

À qui dois-je réclamer
Les heures perdues
Les minutes envolées
Qui va me rembourser
Il doit y avoir un responsable
On me doit ce temps
Je n’ai pas inventé l’ennui
Je n’ai pas inventé la solitude
Alors, remboursez-moi
Sale voleur de temps
Votre dette est grande
Je ne l’effacerais pas
Mon temps est compté
Elle vient ma fin
J’entends le tic-tac
Je ne veux pas regretter
Je veux aimer la vie
J’ai encore le temps
Alors, payez maintenant

Janvier 2023
Maître Kobayashi

Ailleurs, je suis un autre

Ailleurs, je suis un autre
Que le soleil d’Afrique me brûle
Que les femmes d’orient soient belles
Que le danger d’Amérique me frôle

Ailleurs, je suis autre
J’admire les moineaux multicolores de Namibie
Je trouve beaux les mendiants de New Delhi
J’envie le passant ordinaire du Stromboli

Ailleurs, je suis l’autre
Mes pas sont légers au Sahara
Mon âme est ouverte à Kinshasa
Mon cœur est fêlé à Hiroshima

Ailleurs, je suis autre
Je crois à tous les hommes
Je vois la beauté sous mes pieds
Je bois l’eau ordinaire

Ailleurs, je suis un autre
Je dévore les vipères du Congo
J’embrasse la joue des panthères de Guinée-Bissau
Je vole avec les coléoptères de Mexico

Ailleurs, je pourrais être un autre
Un criminel prêt à dégainer à Manchester
Un héros décidé au Caire
Un amant déchaîné à Madère

Ailleurs, je veux être un autre
J’espère l’accident à Pont-Aven
Je veux croiser le danger à Bagnolet
Je veux des histoires à raconter de Levallois-Perret

Ailleurs, j’aurais été un autre
Celui qui aurait pu, à New York
Celui qui s’est caché, à Dunkerque
Celui qui avait un secret, à Belfast

Ailleurs, je ne suis plus moi

« En chaque homme, il y a un flic, un juge, une victime et un criminel. »

Keizer Söze janvier 2023

Les fleurs rouges en plastique

Elles sont bien entourées
Un palmier, deux cactus
Un cygne, un chimpanzé
Elles décorent la télé

Les stores découpent la lumière
Un jour de soixante-seize
Une coquille saint-jacques
Attend la marée sur la table basse

La moquette orange
La table en verre en fumé
La noix de coco
Les amandes et les noisettes

Dans ma chambre
Mes amis attendent aux murs
Janis, Jimi, John et Patti
Habitants du monde trop petit

Être une tigresse
L’élégance à chaque pas
L’ignorance à volonté
Ne plus être blessée

Le soleil décline
Plonge dans un autre monde
Pour toujours être
Une fleur rouge en plastique

Extrait du recueil : Empty Head
Décembre 2022
Mia Wallace

Moi, le héros

J’ai longtemps voulu être quelqu’un d’autre
Un mieux, un beau, un grand, un pas-moi
Un qui parle fort, un qui sait
Moi, je n’étais que moi

Tout petit déjà, j’étais comme ça
J’avais cette envie de disparaître
De renaître en Superman, en héros
Voir dans les yeux des autres
L’envie, la jalousie, l’amour

J’attendais en rêvant que le ciel me touche
un éclair, la foudre, une étincelle,
Je voulais changer de peau
Que les filles me trouvent beau

Je voulais une fossette
De gros bras, un torse de tigre
Un regard magique
Une allure de fauve des tropiques

Je voulais un blouson magique
Un ceinturon à tête de lion
Des bottes aux bouts métalliques
Des cicatrices sans les blessures

J’imaginais des scènes
Un film à ma gloire
Le héros de la fête
Partout il y avait ma tête

J’ai abandonné tous ces rêves
J’ai regardé ma peau, ma carcasse
J’ai haussé les épaules
Et je me suis dit:
Faut faire avec

Petit texte, octobre 2022
Keyser Söze

Le feu brûle en toi

Le feu brûle en toi
Elle touche ton cœur
Roule sur les boulevards
Allume une cigarette
Lance un vieux Chuck Berry
Les pupilles dilatées
Le sang qui vibre
Un cœur qui court
Le vent refroidit ta peau
Le présent seulement
Le temps d’un éclair
Tu les vois, tu les laisses
Ils sont loin, perdus
Oublie les fantômes
La vie est sur les trottoirs
Les lumières des appartements
Roule, roule toujours
Le feu brûle en toi

Extrait du recueil : Empty Head
Décembre 2022
Mia Wallace

Je l’espère heureuse

J’espère qu’un autre
Lui donne la main
Profite de son rire
Dort avec elle
Contemple sa beauté
Prépare son thé
Je la veux heureuse
Qu’elle ne soit jamais seule
Je ne suis pas jaloux
Juste un pincement du cœur
Dans une autre vie
Je serais peut-être
Cet autre
Qui tiendra sa main
Volera son sourire
Touchera sa peau
Verra ses pas sur la neige
Partagera sa vie
Adoucira sa fin
Pleurera tous les matins
Des larmes d’amour

Extrait du recueil : Le Lotus et l’opium

Novembre 2022
Maître Kobayashi

Le feu brûle en toi

Le feu brûle en toi
La neige touche ton cœur
Roule sur les boulevards
Allume une cigarette
Lance un vieux Chuck Berry
Les pupilles dilatées
Le sang qui vibre
Un cœur qui court
Le vent refroidit ta peau
Le présent seulement
Le temps d’un éclair
Tu les vois, tu les laisses
Ils sont loin, perdus
Oublie les fantômes
La vie est sur les trottoirs
Les lumières des appartements
Roule, roule toujours
Le feu brûle en toi

Extrait du recueil : Empty Head
Décembre 2022
Mia Wallace

Arrive le temps du blues

Je repense aux amis que j’ai trahis
Aux enfants que j’ai trahis
Je ne peux plus rien faire
Le temps a tout gravé dans le marbre
Il faudrait que je revienne en arrière
Que je répare, que je m’excuse
Les regrets sont vivants
Je les sens, ils sont en moi
Je peux toujours me rappeler
Les belles choses, les bons gestes
Les silences courageux,
Mais là aussi, les regrets sont cachés
Je ne voulais pas être un ange,
Je ne voulais pas être le diable
Je ne pouvais être que moi
J’ai toujours cru que je pouvais être plus
Le beau mensonge
Je ne suis
Qu’une planche fendue
Qui vibre au gré du hasard

Novembre 2022
Keizer Söze

Les objets en ombre

La chaussure : petit animal en cuir, avec des crevasses sans fin, traces de l’homme lourd, café chaud pesant du matin.

La pipe : génératrice de mystère. L’air existe, absence ou présence, volutes invisibles, noires, noires et grises, ombre du culot, costume avec gilet pour rituels.

Le crayon à papier : droite sur espace, générateur de courbe et mangeur de temps. Brin d’herbe sur table basse, main ridée, mots fléchés, café, robe en tissu épais, lunettes dorées, temps oublié.

La guitare acoustique : parallèles infinies, vide en boîte sans date de péremption, présence des silences.

Le carnet : garde brouillon, rectangle de couleur, boîte à noir et blanc, légèreté des mots.

Le blue-jean : promesse de mouvement à marche forcée, cailloux et petits papiers en route, jeunesse mangeuse de vie, force démultipliée dans un monde trop petit.

La guitare électrique : planche attendant la vague avec son cordon cherchant la vie, objet sans paroles, envahissement du monde, totem.

La basket : taches blanches sur asphalte, elles disparaissent avec politesse, s’excusant à tour de rôle, léger fantôme ailé.

Le sweat noir à capuche, jean noir : traits noirs verticaux, noir d’encre de Chine, noir sur noir, contraste obscur, cache pâle.

L’écharpe verte en laine : bouclier de jeune déesse, douceur à parfum et philtre d’amour