La gare de Surgères est un bâtiment élégant, équipé de grandes portes, d’intérieurs carrelés et de mobilier en bois, l’ensemble est un peu ancien.
J’attends un train pour Paris, il devrait arriver à dix-huit heures trente, l’hiver est là, la nuit aussi. Je suis assis sur un banc. Il y a avec moi une jeune maman et son bébé. Nous sommes tous les trois en avance. Personne n’a de téléphone à regarder, alors je lis et la jeune maman regarde son enfant. Le banc sur lequel je suis installé est à côté de la porte d’entrée, sur le mur à ma gauche il y a les distributeurs de boissons et de sucreries, en face de moi les portes qui donnent sur le quai et à ma droite les guichets équipés de vitres, il n’y a plus d’employé. Les seuls visages sympathiques sont ceux présents sur les posters collés aux murs, le président de région, un chanteur de variété bientôt en concert dans la ville, un employé S.N.C.F heureux de son sort qui sourit sur une affiche qui vote les mérites de son entreprise. Le silence dans de grandes pièces vides résonne, chaque petit bruit devient important, le bruit d’une page qui se tourne devient lourd, la toux d’un bébé devient grave. Une femelle au dos argenté et un jeune mâle entrent, elle doit avoir cinquante ans, lui est plus jeune peut-être de trente-cinq ans. Ils rient, ils parlent fort, chaque mot qu’ils disent résonne dans la gare. Je crois qu’ils aiment cela. On comprend qu’ils viennent de faire un stage pour renforcer la cohésion d’équipe. Ce sont des cadres d’une grande banque, ils repartent dans la région parisienne. La femelle argentée est petite, habillée d’un jean et d’un manteau noir, elle est ordinaire, lui il porte un costume et une chemise, mais pas de cravate. La femelle insère de la monnaie dans le distributeur de friandises et rien ne se passe, elle dit :
— Ça ne marche pas encore.
Le jeune mâle s’approche, il dit :
— Laisse-moi faire.
Il appuie plusieurs fois sur un bouton métallique, de plus en plus fort. Il abandonne, mais elle, elle veut récupérer sa monnaie, elle :
— Ce n’est pas possible, elle va me rendre mes pièces, puis elle donne un coup de pied dans le bas de la machine.
Son collègue veut l’aider, alors lui aussi il donne des coups sur le côté de la machine, comme s’il s’agissait d’un flipper :
— Putain, tu vas les cracher les pièces.
Deux mâles solides et au dos argentés entrent dans la gare, un mâle à bonnet et un autre grand et chauve, ils rejoignent le jeune mâle et la femelle, ils sont collègues, l’un d’eux, celui qui porte un bonnet :
— Qu’est-ce qui se passe ?
La femelle argentée crie presque :
— Je veux récupérer mon argent, je n’ai rien eu.
Le nouveau mâle arrivé appuie sur un des côtés de la machine, pour soulever deux pieds, mais il n’y arrive pas, alors à trois ils appuient, la machine se soulève un peu, ils la laissent retomber, rien ne se passe, ils recommencent, et encore. Le mâle chauve qui n’a rien dit jusque-là :
— Moi aussi ça m’est arrivé, tu n’as aucun moyen, c’est une honte, ce truc.
La femelle recommence à donner des coups de pied à la machine, elle crie en même temps. Les trois mâles la regardent, puis ils recommencent à appuyer sur un des côtés de la machine de toute leur force, après plusieurs essais, le distributeur tombe au sol dans un grand bruit métallique. Le mâle au bonnet décide d’ouvrir la vitre de la machine, il décroche une poubelle métallique du mur à grand coup de pied, puis revient avec, il l’utilise pour taper sur la serrure et il donne des coups sur la vitre. La vitre se fend. Il hésite, puis il donne un dernier coup, la vitre de la machine se casse. Les morceaux de verre tombent à l’intérieur de la machine, la femelle s’approche puis avec précaution, elle saisit les friandises accessibles. Elles les distribuent à ses collègues, ils sont contents d’eux, les mâles mangent la récolte, elle s’approche de la jeune maman et lui en propose une, elle refuse, elle vient vers moi et je la refuse aussi. Le train arrive, toute la meute va sur le quai, je me retourne pour voir la salle d’attente, j’imagine que la prochaine personne qui entrera pensera qu’une bande de jeunes humains a tout cassé.