Ce matin, c’est lui qui me reste en tête. C’est son image que j’ai enregistrée. Je me suis arrêté pour laisser passer deux lycéens qui venaient de ma droite, lui il venait de l’autre côté du passage piéton. Je pense qu’il a dû attendre que les jeunes tournent vers le lycée, pour pouvoir passer avec son vélo. J’ai donc attendu quelques instants qu’il relance son vélo. C’était un homme d’une trentaine d’années, prêt à travailler, vêtu d’un jean, d’un blouson recouvert d’un gilet jaune, de grosses chaussures aux pieds. Il portait un casque sur sa grosse tête. Il était lourd, lent, laborieux.
Mois : octobre 2022
Exercice 6 (à compléter)
Dossier, sbl, sstd, blm, les méduses n’ont pas d’oreilles, anthologie de la poésie du XX e siècle, l’aleph, 10/18 last exit to Brooklyn, composition, carnet fender, tasse, souris calculette, stylo, clavier, casque, marque page librairie du pertuis, trousse, cahier poésie, cahier écrire l’imaginaire, ordonnance radiographie, courrier dépistage cancer site territorial de Charente-maritime 1 bd Vladimir- fief montlouis. cS 50013. 17101 saintes cedex.
Exercice 5
Il était hors norme, c’était un géant. Il avait trois ans, il poussait un fauteuil avec un homme assis dessus. Il devait avoir du sang de cyclope, ou d’ogre. Il n’était pas comme les autres. Il avait de grosses cuisses, des bras pleins de muscles, comme un Bulldog, mais avec un visage d’enfant. Il souriait, il n’était pas agressif du tout. Il était de bonne composition. Il faut dire que ces chiens en général sont gentils. Il était gentil, mais comme ces chiens là, têtu, comme une mule, comme un Bulldog. C’était un drôle d’enfant, ce pauvre gamin.
L’absence
Ferme tes yeux
Regarde les angles
La lumière
Le vide blanc
Tu peux partir
Le voyage commence
Le souffle des souvenirs
Sur ta peau
Respire lentement
Les absents sont là
Laisse-les entrer
Tu entends ces voix
C’est lui, c’est elle
Flotte, relâche
Fais ton appel
La vie, c’est après
Ouvre la cage
Maintenant, ici
Le temps est venu
Le vide a disparu
Tu souris
Petit texte, octobre 2022
Keyser Söze
Exercice 4
Voie rapide, magasin en bardage
Rond-point à burger
Terre-plein central
Immeubles administratifs bleu-gris
Crasse aux fenêtres
Pavillon comme des caries
Vitrine poussiéreuse de petits commerces
Places fleuries
Bureaux tertiaires à salariés
Arrête de bus, et d’espoir
Envie d’une autre vie à l’arrêt
Jeunesse qui se cherche
Centre d’épicerie générale
Pavillon en meulière et fromager
Librairies et baskets de luxe
Portefeuille obligatoire
Peuplade des bouche bée
Plus loin au calme
Vous trouverez
Le cimetière pour macchabée
Exercice 3
Un jour mon père porte un survêtement
Un jour mon père se cache dans le parking
Un jour mon père se fâche sur mon grand-père
Un jour mon père pêche avec moi
Un jour mon père a une moto
Un jour mon père m’emmène en moto
Un jour mon père joue au ping-pong
Un jour mon père rigole
Un jour mon père dort, dort
Un jour mon père est vieux
Un jour mon père est fier
Un jour mon père me regarde
Un jour mon père me manque
Exercice 2
Le goudron fondu colle aux tongs
Le bois, là, aux chats sauvages est interdit
Les papillons jaunes et blancs volent
Il est long ce mur en pierre et brique
La rue du port, les autres qui parlent fort
Le bac, on va traverser, paré pour l’aventure
On court sur le sable mêlé de vase
L’eau chaude des mares-océan
Le temps avance le retour fatiguant
Le goûter, Nesquik sur pain beurré
C’était une belle journée d’éte
Exercice 1
La lumière jaune des lampadaires brille en hiver
Vers les routes, vers les ports, là-haut pendent les câbles
Incapables, on entend encore ça dans les écoles
Colle ton cul sur ta chaise, toi qui es condamné au travail salarié
Sale temps, c’est quand le temps propre, pour la jeunesse des affiches
Fiche en friche, usine partie, la vie est faite d’ennui ici
Cigarettes, mobylettes, elles tournent les tueuses de temps
Température des moteurs, la mécanique des corps a une odeur d’essence
Sens perdu, sans projet, sans cinéma, le monde est terne
Citerne de fuel, chauffage désiré, il faut patienter
Tentez par la publicité, allez vivre sur l’île de beauté
Le métro
Lui, il est dans la rue. Poussé par la foule, il commence la descente, des escaliers gris, il s’accroche à une rampe marron. Il croise des gens qui montent, il a devant lui une masse de dos. Il est pris dans un courant. Il arrive dans un couloir étroit, les murs sont carrelés de petits rectangles blancs. Il avance d’un pas rapide, il est obligé d’avancer au pas de la foule. La foule, grise et noire, on devine par instants des visages gris, des sourcils noirs, des visages noirs, quelques sourcils gris. Le couloir s’élargit, il arrive dans un grand espace, mais la multitude des marcheurs empêche et rend impossible de déterminer la surface de l’endroit. Il s’arrête, obligé, derrière une file de dos, il avance pas à pas maintenant, il regarde le sol, il voit les jambes qui le précèdent. Il est face à un ensemble de barres métalliques qui empêche le passage, il regarde à droite et à gauche, il voit les gens entrer des morceaux de papier dans une fente de la machine qui supporte les barres et après ils avancent, les barres tournent. Il prend un morceau de papier dans sa poche, il l’enfonce en appuyant dans la fente du tourniquet, il essaie d’avancer, il ne peut pas. Il se retourne, un gros homme avec une grosse moustache et de gros sourcils, le regarde méchamment. Il commence à paniquer, on voit ses yeux chercher du secours à droite et à gauche. Il prend un autre morceau de papier dans sa poche, il le découpe avec ses doigts pour qu’il ait les mêmes dimensions que les morceaux de papier utilisés à droite et à gauche, il s’applique, en tirant la langue. Il appuie dessus de toutes ses forces pour le faire entrer dans la fente de la machine, ça ne fonctionne pas. Le gros homme derrière lui s’impatiente, le pousse vers le tourniquet. Il se retrouve avec le ventre appuyé contre les barres, il se plie, il se contorsionne, il arrive à trouver un abri entre les barres. Le gros homme qui est derrière lui est maintenant appuyé contre les barres, il essaie de mettre son ticket dans la machine, mais il n’y arrive pas, la fente est bouchée. Les gens qui sont derrière le gros homme commencent à l’escalader pour avancer, s’accrochant à son manteau, ils se servent du gros homme comme d’un promontoire pour sauter au-dessus du tourniquet, ils sont des centaines, avec le temps le gros homme fléchi, fléchi encore. Les derniers individus prennent de l’élan sur ses épaules et servent du gros homme qui a maintenant la taille d’un nain, comme d’un sautoir pour bondir. Tout le monde est passé, le gros homme est suffisamment petit pour passer sous le tourniquet, alors il s’en va en râlant, habillé de vêtements beaucoup trop grands, il est ridicule. Lui il repart dans l’autre sens, poussé par une autre foule, il reprend le couloir aux rectangles blancs au rythme des autres, il remonte l’escalier poussé dans le dos par la masse grise, il est dans la rue. La foule encore, il avance, il devine des vitrines de magasins éclairées de lumière électrique, mais il ne voit pas ce qu’elles exposent, la foule fait écran. Serré contre ces corps, il marche, il essaie de s’écarter du centre du courant plusieurs fois, mais à chaque fois, comme une brindille subissant des forces invisibles, il est ramené au centre, alors il suit le mouvement, il continue d’avancer puis il disparaît lentement.
Le cinéma muet, le cinéma des images, le cinéma des corps dans l’espace. Le cinéma que je regardais avec mon grand-père, les histoires sans paroles, les rediffusions des jours de grèves à la télévision des films muets. L’amour, que l’on a pour un être, nous fait aimer les objets qui nous ont permis de partager des émotions avec cette personne et quand la vie nous fait croiser de nouveau un objet de cette nature, alors l’amour que l’on avait revit en nous, comme un miroir, l’objet nous reflète l’être aimé, l’être aimé nous reflète l’objet. Je ne sais pas qui on est sans les autres.
Un homme perdu dans le silence. (Les films que j’aurais aimé réaliser)
L’homme sans paroles
J’ai rencontré Sophie en 1982, un samedi soir dans un bar à Bordeaux. Le bar était bondé, tout le monde hurlait, la veille j’avais été voir un concert de rock. J’avais passé ma soirée à hurler près des enceintes. Donc ce soir-là, quand Sophie m’a adressé la parole, je lui ai expliqué par des gestes que je ne pouvais pas parler et que j’entendais assez mal. Elle m’a souri, et elle m’a dit : tu es un sourd-muet. Je ne sais pas pourquoi, j’ai souri en haussant les épaules, elle a souri, ça a commencé comme ça. Elle a parlé pour nous deux toute la soirée, je l’ai écoutée. Je n’ai jamais aimé tellement parler. Le hasard fait bien les choses quelquefois, nous faisions nos courses dans le même supermarché. La semaine suivante, je l’ai vue au rayon frais, elle parlait avec une amie. Je suis allé vers elle, j’avais retrouvé ma voix, je pensais lui faire une surprise. Elle m’a vu, elle m’a souri, mais elle a continué la tirade sur laquelle elle s’était lancée avec sa copine. Après, elle s’est tournée vers sa copine et elle lui a dit : voici Bruno, un ami, il est sourd-muet. J’aurais dû rectifier ses propos, mais on aime tous être plaint, qui n’aime pas, quand on est un peu malade, ces moments où l’on est dorloté. On a fini nos courses ensemble, arrivés à la caisse, la caissière m’a demandé si j’avais la carte de fidélité, Sophie est intervenue pour m’aider, et la caissière m’a regardé avec compassion. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de me taire pour Sophie. C’était un peu pour elle, un peu pour moi. Ce soir-là, j’ai dormi chez elle, et je crois qu’on ne s’est jamais quitté. J’ai abandonné mon appartement deux mois plus tard et je suis venue vivre avec elle. Je travaillais dans une entreprise de chaudronnerie depuis quelques mois. Je ne connaissais personne à Bordeaux, mes parents vivaient à Toulon, je les appelais une fois par mois. La vie a suivi son cours. Nous avons eu trois enfants, deux filles et un garçon. Je ne pouvais plus faire marche arrière, et puis se taire c’est une habitude. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance, sûrement, pendant trente ans, j’ai tenu. Sophie a toujours parlé énormément, c’est une pipelette, je crois que mes enfants n’ont pas manqué de mots. Et en grandissant, mon handicap a peut-être renforcé leur amour. Ils sont tous passés par ce moment, au début de l’adolescence, où il comprenait ma différence et il venait vers moi et il me serrait dans leurs bras. Je suis à la retraite depuis cinq ans, j’ai deux petits enfants, on joue quelquefois en silence à des jeux de société. Sophie parle toujours autant. Elle a décidé que maintenant qu’elle était à la retraite, elle allait apprendre la langue des signes pour pouvoir échanger avec moi. J’ai eu un moment de panique. Puis j’ai repris mes vieilles habitudes, j’ai commencé à simuler un problème de vue. Tout aurait pu durer éternellement sans ces saletés de réseaux sociaux. Toutes les semaines depuis quarante ans, je m’accorde une soirée avec les copains du travail, maintenant avec les copains retraités. Pour Sophie, je vais à une soirée au centre pour les malentendants. Depuis quelques années avec les copains, on a abandonné le bowling, pour le karaoké. On rigole bien. Ce couillon de Denis n’a pas pu s’empêcher de nous filmer la semaine dernière. Je ne sais pas comment, mais une amie de Sophie m’a vu sur Facebook. Je suis sur scène, je chante : « We Are the champions ». Maintenant plus personne ne veut me parler. Sophie est partie, elle veut divorcer. En me taisant, je me suis perdu un peu moi-même.
Le silence est d’or, je ne sais pas. J’ai fait avec, on fait tous avec. Entre les phrases qu’on aurait aimé entendre, celles qu’on a malheureusement entendues, celles qu’on aurait aimé dire, et celles qu’on aurait dû taire, je ne sais pas si le langage est un cadeau pour les hommes, pourtant j’aurais aimé lui dire.